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Canadaglagla
14 mars 2010

Les cours à Queen's

studentLes étudiants entrent ici directement après le lycée (High-School). Pas de classe prépa comme chez nous. Pas d'entretiens non plus, tout est fait sur examen du dossier académique et lettres de recommandations. C'est une chose très courante ici -même lorsque l'on recherche un emploi- de se faire recommander par une ou plusieurs personnes. Cela relève certainement du fameux caractère pragmatique nord-américain!

Indirectement, la sélection se fait également par l'argent puisqu'il faut compter environ 9000€ par an ici, à multiplier par 4 années d'étude. Le prix en France pour une école de commerce est similaire mais à la différence de nos homologues Canadiens, nous ne restons que 3 ans à l'école. En revanche, nous terminons nos études avec un bac +5 (un Master donc) quand eux se retrouvent avec un Bachelor -équivalent de la Licence- en poche. Si l'homogénéisation des diplômes est plutôt aboutie au niveau européen, elle ne l'est pas vraiment à l'échelle du monde puisqu'ici un Master est quelque chose d'extrêmement valorisé dans la mesure où très peu de personnes suivent ce type de programme.

La formation commerciale de Queen's est reconnue comme étant l'une des meilleures au Canada. Cela est révélateur de ce que je vais présenter par la suite et c'est la raison pour laquelle je le mets en avant. Les étudiants qui intègrent l'école, qu'ils soient Canadiens où étrangers -car l'école a un rayonnement international- font donc parti des plus motivés et  savent à quoi s'attendre en rejoignant le programme élitiste de Queen's... ce qui n'est pas forcément le cas des étudiants en échange!

La difficulté des cours est assez variable mais en règle générale ils demandent un important investissement de temps. Je suis quatre cours ici, tous en anglais évidemment, chacun de trois heures par semaine. Mais la majorité du travail se fait à l'extérieur des cours dont l'objectif principal est avant tout de vérifier que les concepts vu dans nos nombreuses lectures sont assimilés. Cela est quasi-indispensable car les cours sont très théoriques ici, et les concepts ne sont pas évidents à saisir même pour un canadien. Il s'avère donc, contrairement à ce que l'on pourrait penser, que le pragmatisme nord-américain ne transparaît absolument pas dans la méthode d'enseignement (c'est étonnamment l'inverse en France où l'on travaille davantage sur des cas pratiques et des projets réels, notamment en s'impliquant dans les différentes associations). L'explication que j'avancerais tient au fait que les universités nord-américaines sont très orientées "recherche" et que les professeurs ont une vision davantage théorique que pratique de l'entreprise. Les professeurs sont d'ailleurs très investis dans leur rôle qui tient davantage de celui d'un manager que d'un enseignant au sens stricte du terme: la majorité de ce que l'on nous enseigne est contenu dans les livres, le professeur s'assure uniquement que l'on assimile correctement. Comme un manager contrôlerait le travail de son équipe, il vérifie notre travail par le biais des quizz et autres examens. C'est une vision de l'enseignement tournée vers le rendement et l'efficacité. Mais à côté de cela, pour avoir discuté avec plusieurs d'entre eux, ce sont avant tout des chercheurs passionnés qui ont mérité leur place ici. Pour avoir un ordre d'idée, Queen's reçoit une centaine de candidatures pour 1 poste quand celui-ci se libère...

La compétition est donc rude, pas seulement chez les professeurs mais également entre les élèves. C'est en finance qu'elle est le plus exacerbée. Par exemple, la participation en classe est évaluée et compte pour un certain pourcentage de la note finale. Ainsi, à la fin du cours, les étudiants qui ont participé vont cocher leur nom sur un cahier prévu à cet effet afin d'être "récompensés". Cela m'a choqué au début et même après trois mois ici je trouve toujours cela bizarre. L'image qui me vient quand le prof lance une question, c'est celle des manèges pour enfants et plus précisément de la peluche qui se dodeline au dessus de leur tête, chacun essayant de l'attraper avant les autres pour gagner un tour gratuit... En finance donc, pas de cadeau : on évite de réserver une salle dans le bâtiment principal et quand on le fait on camoufle le thème de la réunion afin d'éviter d'être perturbé par des camarades qui viendraient poser des questions. Encore plus intéressant : le groupe auquel j'appartiens souhaite me remplacer par une autre personne pour des raisons d'efficacité, chose qui n'est pas considérée comme anormale ici. En contre-partie, ils sont très peu enclins à me donner une copie du cas sur lequel nous avons travaillés ensemble car ils veulent à tout prix éviter que j'importe la méthode et la présentation dans le nouveau groupe! Ce n'était d'ailleurs pas par sympathie, comme j'aurais pu le penser au début, qu'ils m'avaient intégré au groupe, mais uniquement parce que les groupes qui intègrent un étudiant international se voient attribués d'office un bonus de 5% sur la note finale. C'est d'ailleurs la raison officieuse pour laquelle cette règle a été instaurée car sans ces 5%, trop peu de groupes intégreraient un étudiant international. L'explication de cette compétition à couteaux tirés est la suivante : les résultats scolaires des étudiants sont envoyés aux sociétés chez lesquels ils vont postuler une fois diplômés (Morgan Stanley, Goldman Sachs, AIG, CityBank, etc.) et vont donc déterminer les conditions dans lesquelless ils vont débuter leur carrière. Ce décalage d'enjeu entre les étudiants en échange et les Canadiens peut donc conduire à des situations un peu inattendues comme celle que j'ai décrite au dessus.

Pour résumer, l'enseignement ici est aux antipodes de celui qui nous est dispensé en France. J'ai d'abord mis en évidence la différence d'approche dans la méthode d'enseignement, plus théorique ici. J'ai ensuite parlé du caractère ultra-compétitif, qui influence profondément les relations que l'on a avec les autres au sein de l'école. Ce côté "apersonnel" est pour une grande partie inhérent à tout contexte compétitif mais est également révélateur de ce que je pense être une différence culturelle importante: les concepts de confiance et de partage ont beaucoup plus de poids en France -même dans un contexte professionnel- qu'ils n'en ont ici. Le dernier thème que j'ai abordé est l'idée de "récompense" (sous forme de bonus par exemple pour ceux qui répondent aux questions par exemple) et son caractère quelque peu déresponsabilisant sinon infantilisant (que j'ai essayé de retranscrire en utilisant la métaphore du manège). Néanmoins, à côté de cela, les étudiants sont relativement matures et responsables: le professeur ne vérifie pas la présence des élèves qui sont libres de venir en cours ou pas.

Évoluer dans un tel contexte est très éclairant des enjeux et mécanismes du monde actuel: tout comme le professeur qui attribue des bonus-malus, l'Etat a le pouvoir de modifier les règles du jeu en implémentant de nouvelles taxes ou législations ; de façon analogue, en remplaçant les résultats scolaires par dollars, vous comprenez mieux la course au profit et la compétition qui nous entourent, notamment dans le domaine de la finance.

PS : pour ceux que cela intéresse, je me suis vu conseiller un excellent livre par l'un de mes profs : "Understanding Global Cultures" par Martin Gannon. Je ne sais pas s'il est traduit en français par contre. L'auteur utilise un produit culturel type du pays pour le décrire métaphoriquement. Qu'a-t-il choisi pour la France? Le vin bien sûr!

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